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lundi, décembre 18, 2006

Emeutes d’automne 2005 : la version du Centre d’Analyse Stratégique




Quand des chercheurs, missionnés par Matignon, arpentent la banlieue pour comprendre les émeutes ; ça dépote. Les clichés volent enfin en éclat. Et ça fait du bien. (Mais qui s’en soucie encore ?).

Clichy-sous-Bois
Reconstitution de la mort de Zyed et Bouna. Décembre 2006.

Il y a quelques heures, la justice a enfin procédé à la première reconstitution du drame de Clichy-Sous-Bois du 27 Octobre 2005. C’est important, les reconstitutions. Ca permet de refraîchir la mémoire. A tous.

Il y a quelques jours, un homme, qui n’est pas rien, un homme qui se présente à l’élection présidentielle a dit sur France 5 : « Faire porter la responsabilité des 27 nuits d’émeutes sur ce qui s’est passé à Clichy, c’est ridicule ». C’est important, ces citations. Ca permet de se souvenir de ce que Nicolas Sarkozy n’a pas compris.

Il y a deux semaines, maintenant, le Centre d’analyse stratégique publiait justement deux excellentes études monographiques et de terrain à propos des émeutes de l’automne 2005. Curieusement, deux rapports dont seuls Les Echos ont fait état. Et quasiment pas cette blogosphère, qu’on a connu plus inspirée qu’aujourd’hui, toute occupée qu’elle est à faire les poubelles de France Soir ou les corbeilles à papier rance de Bon Week.

Dommage pour elle ; dommage pour eux.

Pour info, le Centre d’analyse stratégique s’appelait auparavant le Commissariat au Plan. S’il a changé de nom, on dirait que le Centre d’analyse stratégique a aussi changé de ton. Mais pas de lieu : il s’agit toujours d’un think-tank sous la houlette de Matignon.

Et voilà l’affaire.

La grosse affaire de ces dernières années. Les émeutes de l’automne dernier, étudiées, disséquées, décryptées, par le menu.

Bon sang qu’ils sont instructifs, ces deux rapports. D’autant délectables, justement, qu’ils proviennent des hautes sphères gouvernementales. Bon sang, qu’ils répondent de manière cinglante à bien des clichés. D’autant que leur caractère matignonesque décuple leur poids comme à l’époque du rapport de la Direction centrale des Renseignements généraux (décembre 2005), dans lequel le Ministre de l’Intérieur avait trouvé de quoi s’étrangler [1]. L’ami Thierry Jonquet devrait les lire, ces deux rapports, ça lui éviterait de raconter autant de contre-vérités sur France Culture.

Ainsi, deux équipes de chercheurs ont travaillé entre avril et octobre 2006. Celle de Michel Kokoreff est allée à Saint Denis. Celle d’Olivier Galland a arpenté Aulnay-Sous-Bois. Le résultat ? Des dizaines d’interviews, de chiffres, de faits, de nuances, de complexités, de perplexité.

Extraits :La religion

Ainsi, la religion, et la prétendue islamisation des événements. Les auteurs des rapports écrivent :

« La religion peu présente. Au cours des entretiens avec les jeunes, les questions religieuses, une éventuelle revendication ou affirmation d’une identité religieuse, le rôle des responsables religieux, aucun des ces éléments n’est apparu spontanément. Les quelques références à l’Islam et à ses prescriptions (ramadan, prière, etc.) renvoient à un cadre strictement personnel et privé. » [2]Emeutiers, pas émeutiers ?

« notre analyse propose quatre positions typiques dans le continuum, qui va de l’implication la plus forte au désengagement : le jeune non-engagé (plus ou moins indifférent, critique ou perplexe, plutôt sur les méthodes employées que sur les motivations de la colère) ; le spectateur passif (regarde par les fenêtres, commente au portable) ; le spectateur actif (dans la rue, il regarde, rigole, applaudit, insulte, court et se cache quand les forces de l’ordre pénètrent dans la cité... tout en refusant de mettre le feu ou d’affronter les policiers directement) ; le jeune engagé (plus ou moins virulent, il peut avoir été incendiaire et avoir participé aux affrontements avec la police). « [3]

« l’enquête de terrain montre que la distinction émeutiers/non-émeutiers n’est pas si évidente à effectuer qu’il n’y paraît au premier abord (...) force est de constater que la ligne de démarcation entre participation active et passive est plus floue qu’on ne le pensait d’une part et que les jeunes ont du mal à avouer leur participation directe aux violences d’autre part. La crainte de pouvoir être identifiés joue évidemment. Mais ces réticences à se dire émeutiers et à indiquer des jeunes qui auraient commis des violences sont le signe de quelque chose de plus important encore : le fait de se sentir tous concernés par ces événements sur la base d’une appartenance générationnelle et territoriale, sur la base d’un vécu partagé de la vie dans les cités et, de surcroît, le sentiment de trahir leur groupe. » [4]

« Une vision émeutiers/non émeutiers ne rejoint pas les classifications que font les jeunes eux-mêmes. Une distinction de type solidaires / réprobateurs semble plus opérante. » [5]

« il nous a paru important de montrer que des conflits d’interprétation existent aussi chez les jeunes vivant dans les quartiers les plus frappés par ces événements (...) On verra à quel point des témoins oculaires de ces événements peuvent avoir des opinions antinomiques quant aux causes et effets de ces violences urbaines, exprimer à l’égard des émeutiers et de leurs raisons aussi bien une forte solidarité qu’un certain rejet. Ainsi, si le contexte dans lequel vivent ces jeunes forme un univers relativement homogène d’expériences de vie au quotidien, le rapport qu’ils construisent aux émeutes est pluriel et témoigne en filigrane de la diversité de leurs aspirations et de leurs projets Trois « figures interprétatives » ont alors été distinguées, qui renvoient chacune aux rapports entre ces émeutes et, dans l’ordre, la délinquance, la protestation, la dimension ludique. Notons, d’emblée, que la figure interprétative relative à l’émeute protestataire est la plus répandue dans notre corpus, suivie par le figure de l’émeute ludique et, enfin, par l’émeute et la délinquance. » [6]

Distinctions entre émeutiers :

« Deux éléments marquants sont apparus au cours de notre enquête auprès des jeunes des quartiers populaires de Saint-Denis : en premier lieu, la jeunesse des acteurs de ces événements (autour de 15 à 18 ans) et leur autonomisation vis-à-vis des plus âgés et des adultes durant ces émeutes ; autre élément marquant, le poids des contentieux locaux apparaît essentiel pour comprendre ce qui a pu se passer localement. « [Enquêtes sur les violences urbaines, Comprendre les émeutes de novembre 2005. L’exemple de Saint Denis.]]

« [Les plus de 20 ans] semblent ne nourrir aucun espoir raisonnable quant à leur avenir et nous présentent un discours très résigné sur leur situation et celle des autres jeunes de leur quartier. Les plus jeunes, ceux âgés autour de 14-20 ans, apparaissent beaucoup plus concernés par les émeutes de 2005. Pour la plupart encore scolarisés ou récemment sortis du système scolaire, ils n’ont pas la même perception, pas la même expérience sociale que leurs aînés, en particulier celle de la résignation » « les différentes figures du grand-frère qui semblent disqualifiées. Ceux « qui sont restés dans le rang » qui ont fait des études pour certains relativement poussées et qui aujourd’hui se retrouvent sans travail, si ce n’est quelques missions d’intérim peu en rapport avec leurs qualifications . Ceux qui « bricolent » « font leur petit business » et qui continuent à traîner au bas des cages d’escalier. Les uns comme les autre restent dans des situations précaires et sont au final peu enviés par les plus jeunes. N’ayant pas réussi à s’extraire de leur condition sociale, ils peuvent difficilement représenter un modèle et leur autorité semble en être affaiblie. « « On peut caractériser les participants par une position « ni-ni » : ni quelque chose à perdre (travail, petit business...), ni encore résigné (à l’image des grands frères) »

Sarkozy

« Il semble alors que les émeutes soient perçues comme une des occasions pour prendre sa revanche, pour régler un vieux contentieux les opposant au ministre. Celui-ci est, en effet, interpellé de trois manières différentes : soit comme responsable des actes quotidiens de policiers en tant que ministre de l’Intérieur, soit comme un provocateur aux propos injurieux, soit, enfin, comme celui qui a tenté de camoufler la responsabilité policière dans le décès des deux jeunes et qui a sali leur mémoire » [7]

Rapports Jeunes / Police

« Ce n’est pas une surprise, et cela a été évoqué dans la première partie, à Aulnay comme dans beaucoup de quartiers défavorisés, les rapports entre la police et les jeunes « des cités » se sont fortement dégradés et empreints d’une tension exacerbée. Dès lors, il n’est pas étonnant que le conflit avec les policiers revienne de manière récurrente dans les propos des jeunes comme l’une des sources de leur colère. Les jeunes critiquent leurs méthodes, décrivent les formes d’humiliation subies (devoir baisser son pantalon devant sa mère, se retrouver tout nu au poste...) et l’affrontement symbolique, presque viril, avec les forces de l’ordre » [8]

« le rapport que ces jeunes entretiennent à l’égard de deux institutions républicaines, telles l’école et la police, se base sur la critique et le rejet ; les liens verticaux avec leurs propres parents se caractérisent par la difficulté de ces derniers à établir des formes efficaces de contrôle de leurs activités en dehors de la maison ; leur volonté d’intégration se heurte à la crainte que leur entrée sur le marché du travail ne soit défaillante à cause des discriminations qui pèsent sur eux. Le groupe des pairs fournit alors des ressources symboliques et identitaires pour dire et revendiquer une appartenance. Émergent alors l’expression d’un grand sentiment d’abandon et d’une forte envie que leur malaise soit entendu par des instances politiques susceptibles d’y répondre. » [9]

Une dimension ludique

« Une autre thématique, peu présente dans les discours sociologiques tenus sur les émeutes, revient pourtant de manière récurrente dans les propos : il semble que les émeutes ont aussi constitué un grand défouloir, notamment pour les plus jeunes. Dans les propos recueillis, les termes employés qui relèvent de ce registre sont nombreux (« spectacle », « parc d’attraction », « délire », « jeu »...). « [10]

« Il est frappant que les véritables termes indigènes sont plutôt d’un autre ordre : « souk », « bordel », « chaos », « faire n’importe quoi », « foutre le dawa », « foutre la merde »... Ces formules émaillent leurs discours. Or, il s’agit bien d’un registre lexical plus ambigu, qui est également porteur d’une forme de banalisation des actes commis lors des émeutes. » [11]

« Il y avait un continuum d’événements violents au sein du quartier et, plus largement, sur la ville, qui rend assez difficile d’isoler novembre 2005 de son « avant » et de son « après ». Même si tous s’accordent pour dire qu’il s’agissait d’un moment paroxystique, il s’insère dans une certaine continuité. « [12]

En conclusion, et en extrême condensé, les auteurs écrivent : « tout d’abord, ce mouvement est également le fruit d’une tendance à l’autonomisation de ceux que l’on appelle « les petits », dans les cités. « Les grands », souvent peu qualifiés et sans emploi, n’exercent plus la fonction tutélaire qu’on leur a souvent prêté et semblent faire l’objet d’un discrédit nouveau. L’accent est également mis sur la conflictualité des rapports entre ces jeunes et la police, que les chercheurs attribuent en particulier à un sentiment d’humiliation de la part des premiers et aux contraintes fonctionnelles qui pèse sur les seconds. « L’équipe d’Aulnay-sous-Bois », quant à elle, insiste sur le fait que chacun projette sa propre grille de lecture sur ce qui s’est passé. Elle montre cependant que l’épisode de « violences urbaines » a été vécu par les jeunes comme l’aboutissement et l’expression d’un malaise partagé et ce, quel qu’ait été leur degré d’implication dans les événements. Les raisons et motivations, qu’elles soient explicites ou implicites, sont décrites par les chercheurs comme très diverses, si bien que le mouvement observé semble résulter de l’agrégation de logiques d’actions nombreuses et variées. Face à cela, la réponse des pouvoirs publics et, plus particulièrement des forces de police, semble avoir été empreinte d’une certaine désorganisation, sans doute liée à l’effet de surprise. Certes, les autorités sont très vite parvenues à adapter leurs actions aux événements et à tirer partie d’effets d’apprentissage mais la capacité d’anticipation paraît avoir fait défaut. »

[1] Les RG écrivaient : « La France a connu une forme d’insurrection non organisée avec l’émergence dans le temps et l’espace d’une révolte populaire des cités, sans leader - ni caïds, ni intégristes. »

[2] Et les auteurs d’ajouter dans une note : « Ces résultats confirment l’enquête menée en France par l’International Crisis Group (ICG) (2006) qui a montré que l’islamisme radical et politique s’est essoufflé dans le pays et qu’il n’aurait aucune emprise sur les jeunes des cités. Aussi et contre bon nombre d’idées reçues, lors des émeutes de 2005, « les islamistes n’ont pas joué leur rôle attendu d’agent du contrôle social, illustrant bien qu’ils n’encadrent ni les émeutes ni les quartiers. Quant aux grandes instances de l’islam de France, elles ont montré leur manque de prise sur les événements et sur les populations impliquées » (p. ii). Précisons que l’ICG est une organisation non gouvernementale spécialisée dans la prévention et résolution des conflits. »

[3] Enquêtes sur les violences urbaines, Comprendre les émeutes de novembre 2005. L’exemple d’Aulnay-sous-Bois.

[4] Enquêtes sur les violences urbaines, Comprendre les émeutes de novembre 2005. L’exemple d’Aulnay-sous-Bois.

[5] Enquêtes sur les violences urbaines, Comprendre les émeutes de novembre 2005. L’exemple de Saint Denis.

[6] Enquêtes sur les violences urbaines, Comprendre les émeutes de novembre 2005. L’exemple d’Aulnay-sous-Bois .

[7] Enquêtes sur les violences urbaines, Comprendre les émeutes de novembre 2005. L’exemple d’Aulnay-sous-Bois .

[8] Enquêtes sur les violences urbaines, Comprendre les émeutes de novembre 2005. L’exemple d’Aulnay-sous-Bois.

[9] Enquêtes sur les violences urbaines, Comprendre les émeutes de novembre 2005. L’exemple d’Aulnay-sous-Bois .

[10] Enquêtes sur les violences urbaines, Comprendre les émeutes de novembre 2005. L’exemple d’Aulnay-sous-Bois .

[11] Enquêtes sur les violences urbaines, Comprendre les émeutes de novembre 2005. L’exemple d’Aulnay-sous-Bois .

[12] Enquêtes sur les violences urbaines, Comprendre les émeutes de novembre 2005. L’exemple de Saint Denis.

http://www.davduf.net/article.php3?id_article=300