Soutenir Nicolas Sarkozy, c’est contribuer à renforcer les avantages acquis des plus favorisés et tirer vers le bas les plus démunis. Un point du vue de Louis Maurin et Patrick Savidan, de l’Observatoire des inégalités. Extrait du quotidien Le Monde.
Nicolas Sarkozy a compris - mieux que d’autres - les ressorts de la crise sociale actuelle et sait en jouer. Son projet n’est pas dépourvu de cohérence, ni parfois de pertinence ; il rencontre aussi certaines des aspirations de larges segments de la population. Bref, on peut avoir des raisons de voter pour lui. Mais au moment de glisser son bulletin dans l’urne, il faudra être sûr de soi et bien mesurer la portée de son geste. Un vote n’est pas anodin, il nous engage toujours. Aujourd’hui, soutenir Nicolas Sarkozy, c’est contribuer à renforcer les avantages acquis des plus favorisés et tirer vers le bas les plus démunis.
L’Observatoire des inégalités s’est fixé comme ligne de conduite de demeurer indépendant des partis politiques et de ne pas entrer dans des logiques de positionnement stratégique. Notre attachement à cette indépendance reste plus fort que jamais. Pourtant, nous ne pouvons rester sans réagir aux propos tenus par le candidat UMP au soir du premier tour. Dans une avalanche de formules destinées à capter le profond malaise social que traverse le pays, il a en effet déclaré vouloir s’adresser à "ceux que la vie a usés", à "ceux qu’une pression trop forte a épuisés", "qui sont dans la détresse", "qui ont peur de l’avenir", "qui se sentent fragiles" et "vulnérables". Son ambition, dit-il, est de les "protéger", de leur "redonner l’espérance". Il leur promet "un nouveau rêve français", une "France qui ne laissera tomber personne", une "France fraternelle". Et pourtant cette rhétorique protectrice cache un projet destructeur pour les plus vulnérables.
Alors que chômage et flexibilité percutent de plein fouet les moins qualifiés, le candidat UMP propose un contrat de travail unique, "plus souple pour les entreprises". Une souplesse - comme celle du contrat première embauche (CPE) qu’il soutenait en 2006 - qui va accroître encore les déséquilibres entre employeurs et employés. A-t-on vraiment besoin de licencier encore plus facilement dans notre pays ? Quant à l’augmentation de l’indemnité de licenciement qui est proposée, elle ne sera jamais un remède à la vulnérabilité de celui ou de celle que le chômage guette.
Faire travailler plus ceux qui travaillent déjà est une offense aux quatre millions de chômeurs et aux salariés à temps partiel dont beaucoup ne demandent qu’à travailler plus. Le développement des heures supplémentaires ne valorise le travail que pour ceux qui en ont. Pour le chef d’entreprise, le calcul sera vite fait : l’heure supplémentaire - telle qu’elle se profile - reviendra moins cher que l’heure de travail d’un éventuel nouveau salarié.
Alors que le mal-logement frappe des millions de personnes, comme le montre chaque année la Fondation Abbé-Pierre, les électeurs doivent connaître le bilan de Nicolas Sarkozy dans ce domaine, car il préfigure la France de demain s’il était élu. Sa ville de Neuilly compte moins de 3 % de logements sociaux. Une marque d’intérêt pour les plus vulnérables... Les mesures qu’il préconise pour accroître la construction de logements favoriseront encore les propriétaires qui louent, catégories qui se sont le plus enrichies ces dernières années. Dans ce domaine, ce sont les jeunes familles des couches populaires qui seraient les plus pénalisées.
Enfin, sur le plan fiscal, il annonce qu’il "fera tout pour baisser les impôts" : comment oublier que l’essentiel de ces réductions, menées depuis sept ans, ont profité aux plus aisés sans obtenir d’effet sur la croissance ? Comment accepter, dans une période de pauvreté de masse, que l’on en redistribue encore plus en direction des plus aisés ? Comme l’a rappelé la Cour des comptes, 70 % des baisses d’impôt sur le revenu ont profité aux 10 % les plus riches. Les recettes perdues via les seules baisses d’impôt pour l’année 2007, qu’il a largement soutenues, se montent à 3,5 milliards d’euros : de quoi construire les dizaines de milliers de logement sociaux dont il n’est nullement question dans son projet.
En proposant de supprimer l’impôt sur les successions, Nicolas Sarkozy se pose en défenseur des petits propriétaires, mais aide en pratique les familles les plus fortunées. Après les mesures élaborées lors de son passage au ministère de l’économie, un couple ayant deux enfants et quatre petits-enfants peut leur donner 440 000 euros tous les six ans (100 000 par enfant, 60 000 par petit-enfant) sans payer le moindre impôt. Faut-il vraiment accroître encore ces avantages ? La diminution à 50 % du bouclier fiscal qu’il projette de faire voter, achèvera de tailler en pièces l’impôt sur la fortune. Comment admettre qu’une telle politique se fasse au profit des plus vulnérables ? Les baisses d’impôt constituent un immense cadeau aux plus aisés, qui va grossir leur épargne. Notre pays gâche l’occasion de moderniser ses services publics, au profit de ceux qui souffrent de ne pas avoir assez accès à la santé, à l’éducation ou au logement, ou pour améliorer notre sécurité.
Dans l’ensemble, le programme du candidat continuera de creuser les inégalités. cette politique augmentera les tensions sociales au sein de la jeunesse. Tout cela n’est pas de bon augure pour une société qui a besoin de se rassembler. La politique sécuritaire de l’ancien ministre est dans la logique d’une société de plus en plus fragmentée, ramenée à l’ordre par une répression croissante. Cette politique fondée sur le conflit n’est pas soutenable à terme, comme le montre le bilan des cinq dernières années. Le ministre de l’intérieur avait demandé à être jugé sur des actes dans ce domaine : la violence contre les personnes ne cesse de s’accroître, preuve que c’est autrement qu’il faut s’y prendre.
Chaque citoyen doit voter en son âme et conscience. Il doit mesurer la portée collective de son acte. Soutenir le projet de M. Sarkozy, c’est cautionner une certaine idée de la France. Un système qui creusera les inégalités, détériorera encore davantage les conditions d’existence des plus vulnérables et leurs perspectives de vie, qui rendra la crainte du déclassement social toujours plus vive, qui renforcera la compétition entre individus et donnera aux "gagnants" les moyens d’écraser toujours plus les "perdants".
La société française a besoin qu’une action résolue soit engagée sur le terrain des inégalités. Il ne s’agit pas d’évoquer au détour d’un discours la situation de ceux dont les conditions de vie se sont dégradées et précarisées. Le courage politique consiste à défendre les plus vulnérables : enfants étrangers, sans-papiers, chômeurs en fin de droits, RMistes, femmes en temps partiel morcelé, jeunes peu qualifiés et SDF. Les considérer comme des délinquants, des profiteurs ou des assistés sera peut-être payant demain dans les urnes. Mais ce n’est pas compatible avec les valeurs humanistes de la République.
Article extrait du quotidien Le Monde 3 mai 2007
Louis Maurin et Patrick Savidan sont directeur et président de l’Observatoire des inégalités
IL NOUS RESTE ENCORE LES LEGISLATIVES ALORS FAISONS TOURNER CE MESSAGE ET TOUS CEUX QUI VONT DANS CE SENS, ARGUMENTES ET REFLECHIS !!!